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COMME OCÉAN


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Arrêts à Saint-Louis, Marie Galante et Pointe-à-Pitre, Guadeloupe

Le constat que l’on peut tirer après un troisième arrêt en quatre ans à Saint-Louis, ville située au sud de l’île de Marie Galante, c’est qu’elle demeure fidèle à elle-même. Une ville quasi-déserte affichant une espèce d’indifférence; en pleine journée, on s’y butte à des portes pour la plupart fermés (restaurants, épiceries et autres commerces). Plusieurs bâtiments, dont certains portent les traces de l’architecture traditionnelle caribéenne, sont placardés et de nombreux terrains demeurent à l’abandon. Pourtant, son littoral est à couper le souffle entre autres, le vaste mouillage de l’Anse Cannot où nous étions. Bref, Saint-Louis manque d’amour et mériterait mieux. À preuve, sur la même île, la ville de Capesterre que nous avions visitée en auto en 2019, tout comme la plupart des autres villages et bourgs de l’île, nous avaient charmés par leur accueil et authenticité.

Après quelques jours à Marie Galante, nous avons mis le cap vers Pointe-à-Pitre en Guadeloupe pour un arrêt technique. La grand-voile de BLÜ avait besoin de réparations mineures, soit de refaire la courroie du point d’amure, de changer le pare-soleil et d’ajouter des penons; la batterie de démarrage étant fatiguée, nous l’avons remplacée.

Nous sommes certes dans la mer des Caraïbes, mais notre mouillage n’a rien de bucolique. Il est situé à l’entrée de l’importante marina de Bas-du-Fort dans une zone portuaire industrielle. Les cargos, les remorqueurs et les bateaux pilotes y sont nombreux, tout comme les navettes qui sillonnent le chenal au quotidien vers les îles voisines. Le va-et-vient de ces bateaux provoque des remous et par ricochet les secousses qui les accompagnent, sans compter les bateaux moteurs de style « cigarette boats ». De surcroît, l’eau est trouble et n’est pas invitante à la baignade. Cela dit, nous vivons quand même de beaux moments et sommes reconnaissants de nous trouver en Guadeloupe. Ce fut d’ailleurs l’occasion de revoir des collègues de voile séjournant en Guadeloupe avec qui Paul avait effectué une traversée de neuf jours vers les Îles Vierges britanniques il y a quelques années.

Paul et Patrice heureux de se retrouver

À proximité de notre mouillage, un édifice moderne a attiré notre attention. Il s’agit du Mémorial ACTe qui abrite le Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage. L’idée d’un tel mémorial tire son origine du Comité international des Peuples Noirs, un mouvement indépendantiste; il s’est concrétisé sous le parrainage de la région de la Guadeloupe. Situé sur le site de l’ancienne usine sucrière Darboussier, le mémorial a été ouvert en 2015 pour commémorer le 160e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Guadeloupe. L’endroit est très symbolique, la sucrerie ayant exploité ses activités par le travail forcé.

L’architecture du Mémorial ACTe interpelle par son style contemporain, particulièrement la multitude de formes longitudinales en acier argenté qui ornent l’édifice mesurant 240 mètres; ces formes représentent les racines du figuier maudit qui prolifèrent en enserrant des ruines. Elles font référence aux millions d’humains disparus. Au second étage, le bâtiment est relié à une passerelle de près de 12 mètres de haut permettant d’accéder à un jardin où étaient situés la maison du maître, un vinaigrier et le cimetière d’esclaves. Cet espace était fermé lors de notre visite.

Si l’architecture de l’édifice retient l’attention à coup sûr, l’exposition permanente portant sur ce sujet très sensible, est judicieusement pensée et conçue. Plusieurs supports ont été utilisés, notamment des montages vidéo avec des acteurs, des reconstitutions, des artefacts, des illustrations, ainsi que des extraits audiovisuels relatant plusieurs événements majeurs. On ne peut qu’éprouver des émotions fortes en écoutant les explications grâce à l’audio-guide. L’histoire est relatée dans son entièreté, en remontant aux origines de l’esclavage, de l’Afrique à l’Amérique, jusqu’à son abolition au 19e siècle, en passant par les multiples révoltes. Les explications se poursuivent pour atteindre la période plus contemporaine où l’esclavage « moderne » prend différentes formes.

Les musées visent en général à intéresser, surprendre et émouvoir tout en partageant des connaissances de façon scientifique. Les concepteurs du Mémorial ACTe souhaitaient aussi faire de ce lieu un endroit de réconciliation, de promotion d’un nouvel humanisme et d’entente entre les peuples, tout en contribuant à la connaissance et à la fermeture des blessures de leur histoire. Le Mémorial ACTe a audacieusement réussi son pari, tant sur la forme que sur le fond. Nous sommes restés accrochés du début à la fin de la visite pendant environ trois heures. Cette exposition nous a beaucoup appris, fait réfléchir et discuter; elle demeure présente dans nos esprits et le restera pour toujours. Car il ne faut absolument pas oublier ce pan d’histoire douloureux de l’humanité, particulièrement en ces temps troubles où la paix est mise à mal et affecte la vie de millions de gens.

Des bâtiments locatifs festifs !