Partis de Portsmouth en Dominique tôt le matin pour atteindre Saint-Pierre en Martinique, la navigation est passée de calme à sportive dès que nous avons franchi la pointe sud de la Dominique. Le Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage aux Antilles et en Guyane (CROSS AG), l’équivalent de la Garde côtière canadienne, appelle les zones entre les îles des canaux.
Dans le canal Dominique-Martinique, le vent soufflait à 25 nœuds avec des rafales soutenues jusqu’à 29 nœuds est-nord-est. Quant aux vagues, elles étaient énormes. Bien qu’il soit difficile d’en évaluer leur hauteur exacte, en surveillant les quelques voiliers naviguant sur la même route, nous pouvions voir disparaître la moitié de leur mât dans les creux. Nous évaluons donc ces vagues à environ 10 pieds, parfois plus. Quelques-unes ont fait leur entrée dans le cockpit, dont une autre a terminé sa course avec fracas plus loin dans le dinghy. Par cette journée ensoleillée, nous recevions un peu de fraîcheur, mais enfin… que voulez-vous, nous sommes en navigation !
BLÜ devenant difficile à barrer, nous avons réduit les voiles à trois reprises. Rien à faire, le voilier obéissait très peu au gouvernail. Nous avons donc affalé les voiles et mis le moteur en marche. BLÜ s’est mise à tourner en rond. Impossible de contrôler le voilier, le gouvernail ne répondait plus.
Paul a lancé un appel pan-pan sur la radio VHF. Un pan-pan signifie que nous avons un problème mais que nous ne sommes pas en détresse, contrairement à un Mayday. Le CROSS AG est intervenu pour s’enquérir de notre situation et deux voiliers – Seminole Wind et Stealing Time – se trouvant à proximité nous ont offert de nous remorquer. Nous étions à environ 5 MN (10 km) de notre destination. Cette solidarité nous a quelque peu réconfortés. Nous n’étions plus seuls.
Dès que Seminole Wind a suffisamment été proche – et elle est passée pas mal proche, croyez- moi ! – Paul est allé à l’avant du voilier pour attraper et fixer la corde qui nous était lancée pour le remorquage. J’avais le cœur dans les talons craignant pour la sécurité de ma Douce moitié. J’étais à la barre. Il y avait un semblant de direction qui, tant bien que mal, me permettait de maintenir le bateau relativement droit. On comprendra un peu plus tard la raison.
- Navigation dans le canal Dominique-Martinique
- BLÜ remorquée par Seminole Wind
Stealing Time, le second voilier, demeurait à proximité pour venir en aide en cas de besoin. Quand BLÜ fut bien attachée, Paul a installé la barre de secours afin de vérifier si nous avions de la direction. Le verdict fut négatif. Pendant que nous poursuivions notre route à la remorque de Seminole Wind, Stealing Time organisait l’arrivée à Saint-Pierre afin que nous puissions nous ancrer.
C’est ainsi que, lorsque nous nous sommes détachés de Seminole Wind, deux autres bons samaritains positionnaient leur dinghy, l’un à bâbord et l’autre à tribord, afin de diriger BLÜ vers une zone de mouillage sécuritaire. Paul vérifiait la profondeur et j’étais en avant pour m’occuper de l’ancrage. La zone de mouillage dans la baie de Saint-Pierre n’est pas très grande et nous avons dû nous ancrer dans 50 pieds de profondeur. Ce plateau de 50 pieds tombait rapidement à de plus grandes profondeurs. Nous avons ainsi jeté nos 200 pieds de chaîne et 50 pieds de câblot car nous étions à proximité d’un autre bateau. D’autant plus, de forts vents étaient annoncés pour la nuit et nous n’étions pas manœuvrant.
Avec la collaboration du CROSS AG, nous avons organisé le remorquage professionnel pour le lendemain matin. C’est ainsi que la Société Nationale de Sauvetage en mer est venue à notre rescousse pour nous remorquer vers Fort-de-France. Malgré la situation, nous étions soulagés de les voir arriver. Mais, nous n’étions pas au bout de nos peines car un autre problème de taille nous attendait !
Le guindeau a commencé à faire des siennes lorsque l’épissure qui sépare le câblot de la chaîne est passée dans le guindeau, cassant le déflecteur de la chaîne. Cette pièce permet de diriger la chaîne dans le puits du bateau. Plan B : en une heure, petit à petit et avec beaucoup de patience, Paul a réussi à remonter le câblot et toute la chaîne. Dès que l’ancre fut arrivée au bord du davier, nous étions presqu’en joie retenant notre souffle. Mais, cette joie s’est rapidement transformée en consternation. L’ancre et la chaîne défilant à la vitesse de l’éclair pour retourner dans les profondeurs de la baie, plus exactement à 126 pieds. Tout le câblot s’est déroulé jusqu’au nœud d’arrêt final retenant le tout au bateau. Heureusement. Finalement, nous avons attaché une longue corde au bout du câblot avec un flotteur afin de repérer le tout et le récupérer lorsque le safran serait réparé. Nous avons aussi mémorisé la position au GPS. Nous espérons que le flotteur sera toujours là !
- Remorquage Société Nationale de Sauvetage en mer
- Cyrille aux commandes
- On se met à l’épaule à la renverse pour rentrer dans la rampe de mise à l’eau!
Je passe sur les détails entourant l’excellent travail de la Société Nationale de Sauvetage en mer. Ce serait trop long à expliquer. Jean-Marc, Cyrille et leur équipe ont exécuté un travail hors-pairs tout le long du trajet. Mais, la prouesse finale fut de réussir à nous rentrer de façon sécuritaire entre les deux murs de béton de la rampe de mise à l’eau au chantier de Carène Antilles, quai des Tourelles, à Fort-de-France. Kudos à cette équipe tant fantastique qu’humaine !
Lundi, BLÜ est sortie de l’eau et le safran a été enlevé. C’est l’arbre (shaft) du safran qui est cassé. Le safran est intact. Nous avons entamé les démarches pour les réparations tant du safran que du guindeau (assurance, devis, etc.). Nous devons cependant composer avec le rythme du Sud et attendre. Deux fois le temps, trois fois la distance, quatre fois la misère. C’est un vieux dicton de voileux. On est loin de Bébert aux Saintes…
- Sortie de l’eau
- Safran et son arbre
Pour l’instant, nous vivons sur le bateau. Le quartier est industriel et il n’y a aucun attrait. Rien, nada, niet, zéro. On nous a déconseillé de s’y aventurer le soir venu. D’ailleurs, lorsque nous sommes allés faire un tour chez Jack, le dépanneur, nous sommes restés interloqués. Nous pensions que c’était fermé car il y avait un grillage. Pas du tout. C’est le proprio, qui, à travers le grillage, nous sert. Nous devons donc regarder à travers ce grillage et demander à Jack ce que nous voulons. À travers la grille, il nous présente les articles… Pas des bijoux mais que du yogourt et du pain. C’est pire que la Commission des liqueurs au Québec, à une certaine époque !
- Notre environnement
- Au moins, on peut voir un paquebot…
- Pire que la Commission des liqueurs, pour des yogourts et du pain !
Heureusement, le centre-ville de Fort-de-France, situé à 2 km du chantier, est bien différent. Depuis notre départ, c’est la première fois que nous renouons avec une grande ville qui grouille de monde. La circulation est intense et il y a beaucoup d’activités. Restos, bars, cafés, boutiques, etc. Le Grand marché de Fort-de-France, c’est Wow ! Ça ressemble au Marché Jean-Talon, version créole. Je prendrais des photos la prochaine fois. On peut y acheter des fruits, des légumes, du rhum, des épices, etc. Il faut toutefois marchander. Nous avons également mangé dans un petit resto cuisine locale en haut du marché. Tout simplement délicieux et plein d’ambiance.
Voici notre réalité depuis quelques jours. Comme dit la chanson de Serge Lama, c’est vraiment d’aventure en aventure, de port en port, que nous vivons notre voyage actuellement…
- Bibliothèque Schoelcher
- Iguane en pleine ville
- Parc La Savanne